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Impression
Jean-Bernard Vuillème

« Venise est vide et irréelle », m’écrit Serge depuis Venise. C’est la première fois depuis mon retour en Suisse, à fin novembre 2018, qu’il donne des    nouvelles. Nous sommes en mars 2020, au temps du coronavirus. Il faut que je réponde enfin à Marian qui demande une impression personnelle de mon séjour à Venise. C’est difficile, une impression personnelle d’un lieu aussi célèbre et emblématique.    Après six mois de séjour ininterrompu, j’ai quitté la ville quand elle était prise d’assaut par une acqua alta exceptionnelle dans laquelle les touristes pataugeaient, tandis que les Vénitiens s’affairaient à assécher les rez-de-chaussée et à réparer les dégâts. Une année plus tard, en novembre 2019, j’ai vu des images d’une acqua alta encore plus invasive et nombre de Vénitiens sinistrés. Imaginer aujourd’hui Venise libérée du flot touristique qui l’étouffe, vide et confinée, me transporte littéralement dans une ville de rêve. J’ai pourtant beaucoup rêvé à Venise, rêvé au point de renouer avec l’esprit du roman et de me remettre au travail. Rêver en marchant dans le labyrinthe jusqu’à perdre et retrouver le nord. Je pense aussi aujourd’hui aux salles vides de l’Istituto venezia, à ses enseignants désœuvrés, mais imaginatifs et entreprenants, qui organisent des cours d’italien en ligne.    Je pense à une ville à la beauté soudain désertée en raison d’un virus. Et je revois la Basilique de la Madonna della Salute, sur le Grand Canal, érigée pour remercier la Vierge de « la victoire de Venise » contre l’épidémie de peste de 1630, qui y a tué des dizaines de milliers de personnes. Et je vois le campo Castelforte sous mes fenêtres. Les invités de la Mostra débarquant en début de soirée pour la réception de la Scuola Grande. Le plongeur s’assurant au petit matin que nulle bombe n’a été enfouie dans le rio della Frescada pour accueillir vers midi le ministre de l’Intérieur Salvini. Le bateau chargé des gros déchets du sestiere de San Polo… Et j’entends des bruits, les « Hoé-hoé » criés par les navigateurs avant l’intersection des rios de San Pantalone    et della Frescada, et ceux plus    travaillés et mélodieux des gondoliers. Les « Dottore ! dottore !... » de l’inextinguible chant des nouveaux diplômés, des cris, des musiques mêlés venus du campo San Margherita… Ces images et ces sons m’habitent aujourd’hui comme un rêve entêtant dont je ne suis pas vraiment sorti.




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Dans l’atelier de Castelforte. Photo Erika Stump.